"C’est à toi que je m’adresse, à toi qui ne m’en- tends pas, qui ne me réponds pas. Tous ceux qui sont ici m’entendent, mais toi seul ne le peux.
Comment ne pas se souvenir ? Je me souviens de cette première rencontre et de celles qui ont suivi. Je me souviens du jour où nous avons décidé — mais décide-t-on dans ces cas-là ?"
"Comment, à ton propos, ne pas citer Proust? Tu appartenais, en effet, « à cette grande famille magnifique et lamentable des nerveux qui est le sel de la terre. Tout ce que nous connaissons de bien nous vient des nerveux. Ce sont eux, et non pas d’autres, qui ont fondé les religions et composé les chefs-d’œuvre. Jamais le monde ne saura ce qu’il leur doit et surtout ce qu’eux ont souffert pour le lui donner ».
"Voilà, Yves, ce que je voulais te dire. Il va falloir se quitter maintenant et je ne sais comment le faire. Parce que je ne te quitterai jamais — nous sommes-nous jamais quittés? — même si je sais que nous ne regarderons plus le soleil se coucher derrière les jardins de l’Agdal, que nous ne parta- gerons plus d’émotion devant un tableau ou un objet d’art."
"Pour te quitter, Yves, je veux te dire mon admiration, mon profond respect et mon amour."
"Je sais bien que tu ne liras pas cette lettre ni celles qui suivront mais qu’importe, je t’écris, même si c’est à moi-même que je m’adresse. Certes, ces lettres te sont destinées; c’est une manière de poursuivre notre dialogue. C’est ma façon de continuer à te parler. À toi qui ne m’en- tends pas et qui ne me répondras pas."
"Tu n’étais plus que refus, rejet. Tout était prétexte à ta grogne, à ta mauvaise humeur. Autour de toi, tes proches — les seuls que tu tolérais — ne t’en voulaient pas. T’en ai-je jamais voulu? Je ne te cacherai pas que ce fut rude parfois. Mais, après tout, il y a longtemps que j’avais tout accepté, toléré, car tu ne pouvais rien affronter, le moindre obstacle te faisait trébucher, déclenchait ton ire."
"La vérité est que tu ne t’es jamais remis de ces années noires et ceux qui te voyaient tous les jours savaient que tu n’avais pas tort de te qualifier de « mort vivant ». Cette dernière partie de ta vie fut terrible, pleine d’horreurs plus ou moins devinées, de désespoir, de manifestations hystériques, car, hystérique, tu l’étais profondément."
"Je savais mieux qu’un autre que la mort t’a délivré de tant d’angoisses."